Créer sa boîte en pleine crise... à la rencontre des audacieux
2020 est une année historique. A cause de la crise sanitaire et économique bien sûr. Mais aussi par son niveau record de 850.000 créations d'entreprises en France. Faut-il être inconscient, un peu fou ou désespéré pour créer une entreprise en pleine crise ?
« Je pensais que personne ne se lancerait au milieu de la crise sanitaire, que j'allais être pratiquement le seul à créer une entreprise en 2020 et que les agences publiques seraient donc très disponibles et réactives », explique Farid Ramdane, fondateur de MJD Superfood en juillet 2020. Ce concepteur d'un nouveau type de nourriture encore tenu secret ne pouvait mieux se tromper. Plus de 850.000 entreprises ont vu le jour en 2020. Un record historique surprenant dans une année marquée par deux confinements et une crise sanitaire et économique majeure.
Ces entrepreneurs qui ont trouvé opportun de se lancer durant cette année noire, ne sont pas des « têtes brûlées », pour Paloma Van Hille, directrice générale de BGE Loiret, Loir-et-Cher et Eure-et-Loir. Au contraire, « ce sont des gens se préparent mieux qu'avant la crise : il y a dans leurs projets une vraie dimension digitale, ce qu'on conseille depuis plusieurs années, et surtout ils ciblent beaucoup mieux et plus précisément qu'avant leur clientèle. Et puis ce sont généralement des publics qui sont en capacité de faire ce genre de pari, qui ont par exemple un conjoint ayant des revenus importants. » Et qui peuvent être divisés en trois catégories : les opportunistes, les contraints et les réfléchis.
Services à domicile, livraison, numérique...
Il y a d'abord les « opportunistes ». Ceux qui ont entrepris dans des secteurs ayant bénéficié de la crise. C'est le cas bien sûr des accessoires médicaux, comme les masques ou le gel hydroalcoolique, mais aussi de tout ce qui est lié à la généralisation du télétravail : livraison, informatique, services à domicile, jeux vidéo, réseaux sociaux, logiciels bureautiques ou encore cybersécurité. Pour Paloma Van Hille, 40 % des porteurs de nouveaux projets en 2020 visaient des secteurs boostés par la crise.
Audrey Simon est de ceux-là. Elle fonde en octobre 2020 une agence de services à domicile à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), en franchise Vivaservices . « Le fait de se lancer dans un secteur pouvant maintenir son activité même pendant les confinements, et qui était même stimulé par la situation, nous a permis de conserver notre motivation », explique-t-elle. Au premier confinement, les prestations à domicile dites « de confort », comme le ménage, étaient interdites. Mais, dès le second, elles sont restées autorisées. Ce qui a permis à l'agence d'Audrey Simon et de Ségolène Laurent, son associée, de signer avec trois clients réguliers en un mois « alors qu'on ne s'attendait pas à facturer si tôt ». Les deux jeunes femmes ont même recruté deux personnes.
Dans les secteurs les plus touchés par la crise, en revanche, comme la restauration et l'évènementiel, les créations d'entreprises sont en chute libre. L'incertitude a rendu les porteurs de projet très prudents... et les banques très frileuses. Mais il y a des exceptions.
Yasmin Hassaïne a fondé la marque éponyme de robes de mariées en août 2020. « J'ai ce projet depuis fin 2019. Quand on entreprend on est animé par notre projet, on ne s'arrête pas à la conjoncture, on s'y adapte. » Elle a pris en compte la crise, et limité les coûts fixes : show-room réduit, pas d'embauche... « En temps de crise, il est plus facile de se lancer que de survivre avec des salariés et des charges fixes. » Yasmin Hassaïne a aussi misé sur les outils numériques pour communiquer et démarcher de futures clientes, en proposant par exemple des croquis sur mesure. Aujourd'hui, elle a conclu ses premières ventes. Son carnet de commandes court jusqu'à la fin 2021. La styliste travaille déjà sur sa nouvelle collection printemps-été 2021.
L'entrepreneuriat comme réponse au chômage
La crise sanitaire a aggravé la situation économique dans beaucoup de secteurs. Le nombre de demandeurs d'emploi a bondi de 7,5 % l'an dernier selon Pôle Emploi. Cette vague de licenciements a précipité nombre d'anciens salariés sur les voies de la création d'entreprise. Selon Paloma Van Hille, ces créations suite à une « situation subie» représenteraient environ 20 % du total.
Alexandre Lacaille en est le parfait exemple. En juin 2020, après une alternance dans le groupe de conseil immobilier CBRE, il décroche un Master en gestion du patrimoine. Et même s'il avait depuis plusieurs années un projet entrepreneurial en tête, il préférait pour le moment « suivre un parcours classique, avec un CDI dans une grande boîte et une rémunération intéressante. » Il était confiant, son employeur lui ayant promis un CDI à la fin de son apprentissage. Il avait même refusé deux propositions de CDI dans des entreprises concurrentes...
Mais la crise est passée par là, et les embauches dans le groupe CBRE ont été gelées. Se retrouvant sans emploi, Alexandre Lacaille voit la situation comme une opportunité « c'est le moment ou jamais de réaliser mon projet, d'autant que c'est un bon test : si ça fonctionne en période de crise, ça ne pourra que mieux marcher plus tard. » Il fonde donc en octobre 2020 Ginkimo qui propose de gérer des opérations immobilières pour le compte de clients qui n'ont ni l'expertise ni le temps de chercher. Son entreprise s'est spécialisée dans les investissements locatifs, et se rémunère par une commission sur le prix d'achat.
Un projet d'autant plus adapté à la crise que l'immobilier est une valeur refuge. Et même si l'année 2020 a vu une légère baisse du nombre de transaction dans l'ancien, Alexandre Lacaille constate une légère hausse des prix, la demande chutant moins que l'offre. Et, en effet, les clients ne tardent pas à venir frapper à sa porte, ou du moins à l'appeler. La situation sanitaire obligeant à une communication essentiellement digitale, l'entrepreneur attire une clientèle inattendue : des Français à l'étranger limités dans leurs déplacements mais décidés à investir. L'entrepreneur est optimiste pour 2021 puisqu'il envisage de boucler une trentaine d'opérations. S'il travaille seul pour l'instant, il prévoit aussi d'embaucher d'ici la fin de l'année.
Le confinement a donné du temps pour réfléchir
40 % des nouveaux projets sont nés durant le premier confinement, constate Paloma Van Hille. « Cela a laissé le temps, notamment aux cadres à la recherche d'épanouissement, de réactiver un projet entrepreneurial qu'ils avaient en tête. »
François Cancelloni travaillait dans la distribution de vins et spiritueux, une activité au ralenti après la fermeture des bars et restaurants. Confiné chez lui, en 100 % télétravail, il en profite pour « réfléchir au sens de son travail, pour se recentrer sur [lui-même] et ses aspirations. » Avec son ami Paul-Antoine Trémolet, il décide donc de monter une entreprise. Mais dans quel secteur ? Un restaurant ? Une salle d'escalade ? Ils envisagent même une station de ski intérieure en plein Paris... Au vu de la situation sanitaire, ces premières idées leur semblent vouées à l'échec. Après plusieurs hésitations, ils optent pour une branche moins incertaine : le logiciel.
Dans son ancien travail, François Cancelloni avait constaté la lenteur de la communication entre le service marketing et le service juridique, pour valider les opérations de communication. Aussi, en novembre 2020, les deux associés créent Qairn, un logiciel SaaS par abonnement pour faciliter la validation des contenus promotionnels dans les secteurs réglementés : la santé, les spiritueux notamment. Ils obtiennent très vite des contacts encourageants avec certains laboratoires pharmaceutiques, leur première cible, et déposent leurs statuts en janvier 2021.
Enfin, toutes les créations d'entreprises ne sont pas à mettre au compte du Covid-19. Certains porteurs de projet avaient prévu de créer en 2020 et ont persisté. En Coopérative d'activité et d'emploi (CAE) depuis 2018, Aline Gros et ses deux associées conçoivent et développent des articles de puériculture écoresponsables, Made in France, sous la marque Pitigaïa. Pour se développer et pouvoir investir, les entrepreneuses avaient prévu de changer de statut. « Il est compliqué de trouver des financements suffisamment importants en CAE, explique Aline Gros, présidente et cofondatrice. Il était donc prévu de passer en SAS en 2020 ».
La crise n'a rien changé à ses plans, mais elle a compliqué les choses. Son fournisseur de textiles lui a fait faux bond. Il s'est retrouvé en rupture de stock en raison de la fabrication massive de masques. Aline Gros a dû trouver de nouveaux fournisseurs, ce qui a engendré un surcoût. Plusieurs des prestataires de l'entreprise ont également accusé un retard de livraison. Tout cela a impacté la trésorerie. Les trois cofondatrices de Pitigaïa ont réduit leur rémunération pour passer cette période difficile. Début 2021, les ennuis sont oubliés. Cette année, elles espèrent engranger environ 300.000 euros de chiffre d'affaires
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