Tour du monde de Lavina : 6- Nuku-Hiva - Les Marquises
Îles Marquises : Henri, le conteur d’histoires (11 à 13 janv 2019)
L’île de Nuku-Hiva est la plus grande des îles marquises : c’est un énorme volcan éteint. L’aéroport est à l’autre bout de l’île et on traverse son cratère, le plateau de Toobii, pour rejoindre Tiaohae, 40 kilomètres plus loin. Curieusement, la route serpente entre des épineux tout au long du chemin, espèce atypique ici, mais très vite les albizias, plus en accord avec ces latitudes, reprennent le dessus.
Jean-Claude, le propriétaire, est venu me récupérer à l’aéroport et m’installe dans sa pension Mave-Mai : comme bon nombre de marquisiens, il est très attentif à mon égard. Jean-Claude a cinq enfants mais… c’est lui qui prépare les petits déjeuners. Tous les matins, les pensionnaires le prennent ensemble, en terrasse, regroupés sur la grande table. Il nous tient au courant des derniers évènements de cette île de 3000 habitants.
Je prends tous mes repas chez Henri, le restaurant du port, tout comme lors de ma première venue en 2012. A l’époque, Henri était un vrai poids lourd et se déplaçait difficilement. Là, il a maigri et laisse pousser la barbe, j’ai du mal à le reconnaître, mais lui se rappelle bien de nos conversations. J’avais découvert ce un petit snack qui ne paye pas de mine à l’extrémité du port de Taiohae. Le démarrage avait été délicat car une dame m’indiquait, à haute voix, que le chef était le gros, là-bas, et voilà que celui-ci, d’entrée, m’avait pris de haut : il hait les touristes qui polluent la culture îlienne. Mais très vite la conversation devint amicale jusqu’à m’installer à sa table pour dîner un mémorable thon rouge grillé au citron vert, accompagné de jus de pamplemousse. Nous sommes heureux de nous retrouver. Lorsqu’il termine de servir les clients, il vient à ma table et nous raccrochons de nouveau. Aujourd’hui, j’ai pris une assiette de poulpe au lait de coco accompagné de tubercules de Taro et de bananes, c’est pas mal aussi.
Les journées démarrent très tôt aux Marquises. 5h30, au lever du jour, je suis sur le quai de Taiohae : c’est jour de marché de poissons. Hier à 16 heures, quelques petites embarcations sont parties pour pêcher, de manière traditionnelle, à la ligne. Déjà quelques marquisiens sont là : venir acheter leur poisson à l’arrivée des bateaux est un rituel important pour les gens de Nuku-Hiva ; c’est aussi un lieu de rencontre, tout le monde se salue et certains s’interrogent sur la présence de l’étranger que je suis.
Les premières barques arrivent, il y en a quatre en tout et pour tout : petit arrivage ! Déjà, une vieille dame se précipite et s’empare d’un des premiers thons déchargés. Mon ami Henri a quitté son restaurant, à côté, et repère les belles pièces : tu m’étonnes que son poisson soit succulent. Il a l’œil le gars Henri ! Les étals ont du mal à se remplir, les gens repartent au plus vite avec leur poisson. Pesé, payé et emporté. Une heure plus tard quasiment tout le poisson est vendu et les requins du port se régalent avec les déchets rejetés.
Le bord de mer est fleuri : frangipaniers, flamboyants, hibiscus… Deux ailerons de requins qui semblent faire des galipettes troublent la mer d’huile en ce matin. Plus tard, en ce début d’après-midi, les sonorités des Ukulélés accompagnent ma sieste, la musique traditionnelle des îles, entrecoupée par le roulement de vagues, montent jusqu’à ma chambre.
Ce soir, Henri est à ma table et nous refaisons le monde, accompagnés par le clapotis de la mer et les requins turbulents des eaux du port. Vivre heureux, c’est enchaîner ces rencontres simples et ordinaires : aux Marquises, l’environnement et la culture conditionnent ce bonheur. Henri, marquisien défenseur des us et coutumes de ses îles, donne du temps au temps et rejette la pollution qu’apporte le tourisme ordinaire. Henri est un grand monsieur et un grand conteur d’histoires. Il me tient en haleine avec diverses légendes locales. Non, je ne vais pas les reprendre toutes, mais en voici un petit bout.
Traditionnellement, le Marquisien est convaincu qu’à la mort, l’esprit descend au fond des océans et se trouve réincarné dans les gros animaux marins : Baleine, Lamentin, Requin… Ces animaux sont extrêmement vénérés aux Marquises et on les mange avec gloutonnerie. La chrétienté est venue perturber l’ordre établi en affirmant que l’âme part vers le ciel… alors que c’est tout le contraire ici. Alors, ils prennent ce qui est bon dans l’église et oublient le reste.
Les Japonais très amateurs de requins, d’ailerons entre-autres, pêchent de manière excessive ces animaux. Pour éviter les massacres en cours, Tahiti a prohibé la pêche du requin. Du coup les marquisiens sont frustrés : leur repas de gala est interdit. Dans les politiques polynésiennes, le thème « retour aux sources » est très présent. Un festival des arts et de la culture des îles Marquises se tenait récemment sur ce thème, à Hiva-Oa, l’île de Brel : Henri a fait pêcher 5 requins pour l’occasion en enfreignant l’interdit. D’entrée, les membres du gouvernement polynésien indiquent qu’ils n’en mangeraient pas, vu la loi. Alors, Henri a pris la parole et a précisé que culturellement les marquisiens ont toujours mangé du requin sans que leur reproduction soit altérée, et l’interdire c’était les couper de leurs origines et qu’une bonne loi ne pouvait les priver de leur met favori. Du coup, les cinq requins préparés n’ont pas fait long feu, même le ministre de l’environnement, responsable de l’interdiction a trouvé cela bon. Combien de textes de loi se fichent complètement de la coutume et détruisent peu à peu notre bien-être ?
Je l’interromps pour lui dire, qu’hier soir, alors que je rentrais me coucher, une voix fluette et féminisée émanant d’un véhicule arrêté m’a interpelé : « Bonsoir, ta poupée est là à t’attendre ! ». Un « raerae » ou un « mahu »? Jadis, on éduquait le troisième enfant de la famille en fille afin qu’il prenne plus tard les tâches ménagères de la maison, qu’il soit fille ou garçon. Cela a donné naissance à un troisième sexe... Puis l’homophobie est apparue (avec le puritanisme chrétien) et a conduit à refouler la féminité présente en tout homme... Aujourd’hui, le mot « mahu » désigne les travestis, tandis que les « raerae » sont ceux/celles qui se prostituent. Dans de nombreux métiers d'accueils ou de décoration les « mahu » sont très recherchés et prisés pour leur délicatesse et leur sensibilité. Ils vivent souvent en couple avec un tane (un homme ou une femme), ont souvent un enfant « faamu » (adopté) et vivent sans complexe.
Sur Nuku-Hiva, il existait antan une superbe femme pulpeuse et ensorcelante. Les îliens voisins voulaient la posséder, revenaient sans cesse à la charge et se faisaient systématiquement repousser. Au sommet de la colline au-dessus du port de Taiohae, un tiki a été érigé à sa mémoire. Le Tiki est une statue omniprésente en Polynésie française ; il représente un dieu ou un génie qui protège les habitants en éloignant les mauvaises énergies. Celui-ci représente une femme, avec un guerrier qui s’élance. Ce Tiki se veut l’héritage de la tradition et du savoir de l’île. D’ailleurs on peut glisser un message pour l’éternité dans le pito (nombril) du Tiki, ce que j’ai fait. Chaque grande ville a un monument qui l’identifie : le christ du Corcovado, la statue de la liberté… Taiohae a voulu avoir le sien.
A une époque ancienne, il est fort probable que les marquisiens, trop nombreux pour les ressources disponibles, aient décidé de partir sur de grandes pirogues. Il a été démontré, via l’analyses d’objets en pierre, que cette dernière provenait d’une carrière de Oua Pou (une des quatorze îles marquises), ceci aux Fidji et à Rapa Nui (île de Pâques) voire sur d’autres îles du pacifique. Ceci viendrait attester la présence de marquisiens en de nombreux points du Pacifique.
Passer ses soirées à Taiohae, c’est écouter avec plaisir, Henri, le sage. N’oublie pas d’aller le voir si tu viens aux Marquises !
Yves Lavina (4)
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