Éditorial
Voyageur plus qu'ingénieur
Est-il décalé et inconvenant d’évoquer une vie de voyages à l’heure où le COVID-19 t’enferme chez toi ? Lorsque le questionnement sur le lendemain se pose, le retour sur un passé riche en turbulences nous sort de l’obscur et donne un brin d’énergie pour avancer dans les incertitudes d’une pandémie. J’y vais avec une forte pensée pour tous ceux durement affectés par ce fichu coronavirus.
Mon truc à moi reste le voyage ! Oui, je suis un dromomane comme le souffle Sylvain Tesson. Je pensais que « Partir » était simplement une nécessité irrésistible de mouvement, la bougeotte, quoi ! J’ai compris que Partir c’est sortir de la grisaille du quotidien, s’enthousiasmer à l'idée de rencontres inattendues et savoureuses, retrouver les vraies valeurs du vivre et rejeter son absurdité. Partir à plusieurs c’est comprendre mieux, ensemble, notre humilité ; Partir seul c’est mettre en échec la solitude, pour finalement revenir… afin de mieux Repartir … jusqu’au dernier départ.
Je suis ingénieur grâce au voyage : à 20 ans, j’étais en terminale Math et Tech avec pour ambition très récente de devenir journaliste, suite à mon échec cinglant au baccalauréat. Mon père s’y oppose et renchérit : « Tu es mineur et je ne signerai aucune sortie de France pour le Mexique, sans ton bac et sans réussite à l’entrée dans une grande école ». L’ouvrier qu’il était rêvait d’un fils ingénieur. J’ai ainsi rejoint l’ENIT avec un classement d’entrée que je n’avais jamais atteint durant toute ma scolarité.
1966 – Photo-souvenir sur la panaméricaine dans les Chiapas
Dès 13 ans, le voyage s’est avéré une nécessité pour vivre : le déraciné d’origine espagnole que j’étais à Bordeaux, avait besoin de ces étés dans l’Espagne des séquelles de sa guerre civile. J’ai postulé et bénéficié de deux bourses Zellidja qui m’ont fait passer de la péninsule ibérique au Proche-Orient. Puis juste avant l’entrée à L’ENIT, avec trois amis, j’ai traversé les Etats-Unis et parcouru le Mexique. Par la suite, quelques camarades de promo ont été entraînés dans des voyages dont le spectaculaire raid Paris-Kaboul-Paris d’il y a 50 ans.
1970 – Sur la route en Afghanistan et en Iran lors du raid Paris-Kaboul-Paris
Puis, j’ai continué à parcourir notre terre tant professionnellement qu’à titre de loisir et vite dépassé les 100 pays visités.
Je viens de prendre le départ pour un troisième tour du monde. Bien évidemment avec des jambes moins solides, une tête interprétant moins bien les signaux extérieurs, le grand large s’assombrit. Cependant l’expérience de tant d’années de « route » et une volonté à toute épreuve donnent l’énergie pour surmonter une tonicité en berne.
1976 – Premier tour du monde – Marché de Solola (Guatemala)
Je continue à croire que le bonheur n’existe que loin du ronronnement d’une société avec prédominance du fric, avec un quotidien fortement informatisé, avec des médias qui ne cessent de te montrer le bon chemin, avec des politiques qui ont oublié les fondements du bien-être, avec une communauté dans laquelle le plus prend le dessus sur le mieux, ... La place de l’humain et des libertés est progressivement réduite à néant. Conscient des stigmates de ce déclin, je suis souvent parti remplir les jours qui passent, sur les sentiers lointains là où le regard est plus important que la parole, où la chaleur de l’autre est spontanée, où on ne m’accuse de rien. Mon jardin des Hespérides, c’est le Monde !
Du Taj Mahal au Machu Picchu, du Sphynx de Gizeh à la pyramide de Chichen-Itza, de la muraille de Chine à l’Acropole d’Athènes, de l’Océanie à l’Afrique, de l’Europe à l’Asie ou aux Amériques, j’ai été ébahi par tant de prouesses de l’homme, lointaines merveilles si proches de nos bâtisseurs de cathédrales. J’ai parcouru ces lieux magiques devenus la proie du tourisme mondial et de la chair au mitraillage photographique. N’est-il pas plus sérieux d’allumer sa télé pour regarder un reportage travaillé et réussi sur le complexe monumental d’Angkor que projeter la photo de ton nombril posant devant le temple Angkor Vat.
2017 – Cinquantenaire de la mort de Che Guevara à La Higuera (Bolivie)
Je préfère les rencontres aux sites monumentaux, même si je n’hésite pas à faire le détour s’ils se situent au voisinage de la route choisie. Les rencontres sont de tous ordres : sur les traces d’un conquistador, d’un être remarquable ou qui a marqué ton esprit, à la découverte de peuplades, dans le bouillonnement d’une mégapole, ton voisin dans le bus, … toutes ces situations qui surviennent sur un itinéraire choisi où tu as décidé de te laisser aller.
Bien sûr, les retombées sont moins spectaculaires car tu es sur de l’anodin et loin de l’exploit sportif. Et pourtant ton cœur enfle au fil des personnes que tu croises ; tu chemines enthousiaste, le palpitant a remplacé ta tête ; tu avances de mieux en mieux. La découverte n’est-elle pas là l’essence de la vie ; la satisfaction qu’apporte ces petits moments si différents de l’attendu sont ton régal au quotidien. Ecoute les anecdotes d’un voyageur qui revient : il met en avant d’abord, ses rencontres pimentées ! De là, construis un itinéraire, choisis des thèmes en accord avec tes centres d’intérêt et pars, laisse-toi aller à sauter d’un sujet préparé à l’autre : les rencontres viendront enchanter ton parcours.
C’est dans cet état d’esprit, très loin du voyage super organisé, en choisissant au jour le jour le moyen de transport (Opodo) où l’hôtel (Booking), que le retraité globe-trotter prend l’avion vers les Antilles, ce 2 novembre 2018. Une année à faire le tour du monde ! L’habitude des carnets de route, acquise dès ma jeunesse, me conduit à rédiger, régulièrement, de courtes chroniques, qui retracent mes rencontres : je les ai à peine retravaillées à mon retour et je vous en présenterai quelques extraits.
Merci à Alain et à Christian d’ouvrir cette rubrique où nous pourrons communiquer sur nos expériences du voyage. J’espère pouvoir échanger avec toi, jeune ou vieux routard.
Yves LAVINA (4) Promotion Paul Painlevé – 1966/1970