Tour du monde de Lavina : 4- Mexique
Mexique : Les Tzotziles de San Juan Chamula (22/11/2018)
A San Juan Chamula, en ce dimanche matin, le marché bat son plein sur l’esplanade du village. Depuis l’été 1966, le changement est grand … en mieux pour le regard du touriste que je suis. Les femmes portent leurs grosses jupes de laine peluchée noire, … plus peluchées qu’avant. Dans cette foule on ne croise que quelques hommes portant le traditionnel gilet en laine blanche : les tenues se sont occidentalisées. Pour traverser le marché, il faut faire très attention où tu poses le pied afin d’éviter les empilages d’oranges, les étals d’avocats à même le sol ou faire tomber une table présentoir. Les vendeurs se rebiffent lorsque tu tentes de les prendre en photo.
La communauté Tzotzil possède un gouvernement réélu chaque année qui décide ce qui doit être fait dans le village sans en rendre compte aux autorités mexicaines. Le chef du village, qu’on appelle « Presidente », est réuni avec tous les notables en tenue traditionnelle, dans un coin aménagé non loin du parvis de l’église. Ils sont installés là de 9 heures à midi. Les Chamula des parages viennent le saluer et formuler leurs requêtes. Impressionné par cette assemblée colorée, je m’approche et, gonflé à bloc, je vais serrer la main du président. Manque de chance, ce n’est pas ce qu’il faut faire lorsqu’il est dans sa tenue de notable avec son bâton d’édile. Il détourne la main que je lui tends pour l’orienter vers la petite croix qu’il porte suspendue, sur son poitrail : c’est en la touchant qu’on salue le chef. Je m’en explique et me retire pour aller discuter, non loin, avec quelques Chamula en tenue. Ne voilà-t-il pas qu’il me rappelle et ouvre un petit espace avec son voisin pour que je puisse m’asseoir. On papotera. Je trouble l’assemblée en demandant le nombre d’habitants du village : alors là, ça jongle avec les chiffres. Dernier mot du président : 85 000 (ils étaient 17 000 Chamula en 1966). « Ici tu peux prendre toutes les photos que tu veux, mais surtout pas dans l’église !! » me dit-il. Je me retire une seconde fois car les visiteurs doivent commencer à pester contre ce ladino (Cachlan en tzotzil) qui distrait leur président !
Un second temps fort a lieu dans la très blanche église Saint-Jean qui s’est embellie avec le temps. Le nombre de saints exposés à l’intérieur en 66 sur la terre recouverte d’aiguilles de pin devait être de huit ou dix … Il y a eu inflation depuis, j’en ai compté trente et un, tous dans des vitrines. Nous savions que chaque saint représente un dieu maya : Jésus de l’humilité est associé au dieu du soleil, la vierge à la lune, Saint-Jean Baptiste à la terre, Saint Michel à la pluie, Saint Sébastien Martyr aux âmes, … La complexification de nos sociétés explique-t-elle le nombre croissants de saints ? Même le Chamula qui a vérifié mon ticket à l’entrée ne saura me dire l’assimilation faite aux dieux ancestraux pour bon nombre de ces caelicoles.
Le Chamula dépose des cierges en fonction de ses requêtes et du Saint susceptible de répondre le mieux à son vœu. Il prie agenouillé, prostré au milieu de milliers de cierges allumés dégageant une étonnante chaleur. Mais, que fait le couple à côté de moi : il vient de trancher le cou du poulet qui se vide de son sang, ceci devant l’autel dédié à Saint Jean. Cette offrande, ce sacrifice rituel nettoie l'âme et évacue les mauvaises énergies. A l'époque, nous avions vécu les beuveries des Chamula dans la nef de l’église au sol couvert d'aiguilles de pin. L’endroit est fort prenant, impactant et cette croyance, poussée à l’extrême, reste très estimable.
Comme j’aime cette culture Chamula ! Pourtant les 53 ans qui sont passés n’ont pas apporté que du bon. Une belle maison, à quelques encablures de San Juan Chamula n’a rien à voir avec les constructions traditionnelles locales : c’est celle de Lafi, un narcotrafiquant Chamula qui dort aujourd’hui en prison. Sûr que bientôt, avec l’argent collecté, il soudoiera ses justiciers pour retourner au village. Un groupe de rock masqué « Vayijel » composé de jeunes de San Juan Chamula joue à côté de la cathédrale de San-Cristobal de las Casas dans le cadre d’un festival de musique indigène. Étrange ... et de plus, ils sont bons ! Comme quoi le modernisme atteint les traditions et la puissance du fric dévore les valeurs fondamentales portées par une ethnie.
On aimerait tellement avancer dans un monde qui s’arrête de tourner ... juste après ton passage !
Yves Lavina (4)
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