Tour du monde de Lavina : 13- Calcutta, Bénarès
Calcutta, Bénarès, Dharamshala : retour sur les routes du sacré (18-03-2019)
J’ai quitté le Bhoutan et retrouve l’Inde à Calcutta. J’étais ici en 1976 avec mon grand pote Rafa. Depuis il est décédé et je suis en pèlerinage dans ce nord de l’Inde que nous avions traversé ensemble.
...Les cyclo-pousses étaient tirés par des hommes qui couraient pieds nus, un pagne crasseux masquant leur intimité. Ces images cruelles et avilissantes n’existent plus même si la misère perdure. Je reviens vers un quartier où l'inhumanité est loi et je visite le premier "mouroir" créé par Mère Teresa en 1952 : scènes éprouvantes et dures de la décrépitude de l’être. Le monde, c’est aussi ça. L'œuvre de cette femme charitable et dévouée ne peut qu’être louée. Elle est morte en 1997 et sur sa tombe, j’ai pensé à Rafa : nous n'avions pas pu la rencontrer à l'époque. L'athée que je suis sait reconnaitre les êtres d'exception.
Une heure trente de vol et me voici dans cette improbable et mystique ville de Varanasi, la Bénarès des hindous, la ville sainte de l’Inde. A quinze minutes de mon hôtel, se trouve l'accès aux ghâts, ces ensembles de marches qui s’enchaînent le long des rives du Gange et donnent accès aux baignades purificatrices dans des eaux sacrées. Ils sont visités quotidiennement par des milliers de pèlerins hindous et… des groupes de touristes. La balade est prenante et le lieu reste un incontournable point de passage pour le voyageur. Bien évidemment la spiritualité qui règne ici m’a toujours fasciné ; par tant de scènes tellement décalées, Bénarès te « transporte » !
Les rives du Gange sont un lieu unique au monde. Bien sûr, pour y accéder, tu dois éviter les ordures éparpillées et les nombreuses vaches qui se mêlent à une circulation anarchique. Les mouches rôdent autour d’excréments abondants ; une odeur particulière t’accompagne et tu ne t’en débarrasses qu’en atteignant le fleuve le plus pollué du monde.
Bénarès comporte approximativement 365 ghâts. Passer de l’un à l’autre, constitue la promenade traditionnelle qui peut être faite à pied ou à la rame ; j’opte pour la marche au cas où la barque chavirerait… Les scènes du bord du Gange sont surprenantes : une foule colorée, un sadhu peinturluré méditant, un groupe d'hommes se baignant, un autre assis sur les gradins, des femmes en prière, des vaches faisant trempette... Tu écarquilles les yeux à chaque pas, à chaque mètre ; d’autant plus qu’ici tu es moins dérangé par ceux qui cherchent à récupérer quelques roupies. Seuls quelques enfants ou adolescents m’ont poliment demandé si je voulais faire une balade en bateau sur le Gange.
Avant d’aller au ghât suivant, je m'assieds face au fleuve et regarde la vie passer, une autre façon de poser ton regard sur ce spectacle. Tout le monde, touristes et pèlerins, se dirige vers le fameux ghât de Manikarnika. C’est le plus connu de Varanasi, le point où des dizaines voire des centaines de crémations ont lieu quotidiennement sur les rives du Gange. En déambulant sans carte en main, on devine déjà où il se trouve par les colonnes de fumée qui le trahissent. En me rapprochant, j’aperçois quelque chose qui peut ressembler à de petits feux de la Saint-Jean. Les crémations se déroulent 24 heures sur 24, 365 jours par an. L'un après l'autre, les corps des défunts sont placés sur les bûchers. Ici les Doms dirigent les cérémonies funéraires. Craints et méprisés, ils règnent sur les rives du Gange et sur leurs bûchers, créant ainsi une économie intéressante pour la ville. Pas surpris par ce que j’observe, plutôt envouté, je sors mon smartphone et photographie ces rituels funéraires à l’air libre. Et voilà qu’un Dom m’interpelle et me promet une amende salée voire une nuitée au poste de police ! Je le laisse dire sans broncher tout en remontant les marches et en m’éloignant sous un flot d’insultes que je ne comprends pas. Et oui, il y a des choses à ne pas faire. A Bénarès, les morts brûlent pour retrouver la vie ! Je m’esquive pour préserver la mienne.
Alors que la nuit commence à tomber, je m’en retourne vers le ghât Dasashwamedh sur lequel se déroule chaque soir à 19 heures une cérémonie d’adieu au soleil. Un jeune hindou, Akash, m’interpelle et me dit quelques mots de français avant de me proposer de monter dans sa barque amarrée là pour assister avec d’autres au spectacle Aarti ; il s’agit d’une offrande de fleurs et de feu effectuée tous les jours au coucher du soleil. Le rituel est unique, à voir mais… assoupissant.
Tout commence par un son de cloches qui enveloppe tout le lieu et indique le début des offrandes à la déesse Ganga. Sept petits parapluies marquent l'emplacement des prêtres qui vont officier. Ils s'éclairent alors que les fidèles continuent d'affluer. Les sept prêtres parfaitement coordonnés refont pendant une heure les mêmes gestes aux quatre points cardinaux avec des bâtons d'encens, de gros diffuseur d'encens, des vasques enflammées, un plumet en plumes de paon… De l’autre main, ils secouent une clochette pour attirer l'attention de la déesse. Le spectacle dure une heure et s'achève par des chants repris en cœur par la foule ainsi que par des pétales de fleurs jetés sur le fleuve.
Je retrouve Akash à la descente de la barque où il m’avait installé, on échange nos adresses e-mails et depuis, nous ne cessons de correspondre : son français s’améliore !
Après un court séjour à Delhi, avec les troubles digestifs que nul visiteur de l’Inde ne peut éviter, je rejoins Dharamshala avec la ferme intention de rencontrer le Dalaï-Lama en son « Potala » indien de McLeod Ganj. Il y a 40 ans, Sa Sainteté nous avait reçus, avec Rafa, et en signe de bienvenue, avait posé l’écharpe blanche autour du cou, alors que nous baissions la tête, agenouillés. Cette fois-ci, il est en voyage et je ne pourrais le voir. Si l’Himalaya reste ici tout aussi majestueux en toile de fond, si les paysages de montagne restent aussi beaux, si les rhododendrons continuent à fleurir, ce lieu est devenu ultra touristique. Des hôtels ont été construits un peu partout et n’importe où, certains non terminés sont en ruines ; des marchands d’artisanat se sont installés le long des rues et vendent tous à peu près la même chose ; les taxis pullulent. Lourdes a fait des petits et McLeod Ganj est défiguré ! Alors, quand te gagne ce curieux sentiment que « c’était mieux avant », il vaut mieux partir vers de nouveaux espaces.
Yves LAVINA (4)
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