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04 février 2021

Stalker ses proches, l'art de l'espionnage sur Internet

Espionner est un art. Certes pas à l'aide d'une longue-vue, mais grâce aux réseaux sociaux qui en disent long sur nos vies. Mais faites attention aux traces que vous laissez !

 


 

Vérifier l'e-réputation de son futur employeur, chercher des photos de son ancien amour de lycée pour voir à quoi il ressemble aujourd’hui, s’assurer que son ado ne traîne pas avec les mauvaises personnes en soirée, découvrir la profession de ce voisin dont les horaires nous semblent atypiques ou, plus prosaïquement, savoir qui se cache derrière ce numéro de téléphone bizarre qui nous appelle tous les trois jours… Tout le monde a déjà plus ou moins joué les espions en ligne. On appelle cela «stalker»: un anglicisme venu de l’univers du jeu vidéo qui désigne le fait d’espionner ou de traquer en ligne les traces laissées par une personne (l’espion, lui, étant appelé «stalkeur»). Et des traces, nous en laissons beaucoup. Pour découvrir ce qui se cache réellement derrière notre écran, nous avons mené l’expérience suivante: essayer de recueillir en un mois le plus de traces possible laissées en ligne par nos proches, collègues et connaissances…

Première étape : se rendre soi-même invisible. Pas question de laisser des traces de notre passage sur les pages dans lesquelles on va farfouiller. On peut opter, de prime abord, pour la navigation privée, histoire de ne pas se retrouver automatiquement «logué» à Facebook ou LinkedIn par exemple. En effet, LinkedIn permet à ses utilisateurs de voir quels autres utilisateurs ont visité leur page. La fonctionnalité est limitée aux trois dernières visites… sauf pour les abonnés premium. En optant pour la navigation privée (ou en se déconnectant du site), on échappe à ce que le sociologue du médialab de Sciences po Dominique Cardon (1) nomme, en définissant les réseaux sociaux, «ce système étrange de pseudo-symétrie entre celui qui montre et celui qui regarde. Entre l'exhibitionniste et le voyeur.» Ici, le voyeur est le seul maître, qui obéit à quelques règles mais à peu de principes.

Mais pourquoi se surveille-t-on mutuellement ? «Au départ, c'est une histoire de vérification, nous explique Catherine Lejealle (2), sociologue spécialiste des nouvelles technologies. Avant un rendez-vous professionnel ou amoureux, on va pointer, se faire une idée préalable et mieux se préparer. Sachant qu'on va surtout imaginer, donc préjuger, car le Web n'offre que des miettes ou des pièces plutôt qu'un puzzle complet.» Ou comme on va vérifier à quoi ressemble la chambre d’hôtel ou le gîte qu’on veut louer en allant regarder les photos sur TripAdvisor par exemple.

La première chose à faire avant d’aller espionner les autres, c’est d’aller observer ses propres traces. Car on en laisse toujours, même si l'on prend soin de supprimer régulièrement les cookies, d’effacer ses historiques de navigation ou d’utiliser un gestionnaire de mots de passe (à l'image de Dashlane, très bien, sans pub). Des tweets qu’on avait oubliés. Un vieux Skyblog ou une page sur Copains d’avant. Des photos de soirée postées par des amis. Un commentaire sur le forum de fans d’un groupe qu’on a oublié depuis longtemps. Une société, ouverte puis fermée il y a des années, mais pour laquelle on reste enregistré. Un vieux CV mis en ligne à la fin de nos études… On ne se rendait pas compte de tout ce qu'on avait laissé derrière soi.

Après avoir «googlé» nos proches et nos amis, direction Facebook. Car, quoique ringardisé par Snapchat ou Instagram, il demeure le réseau social le plus utilisé dans le monde. La barre des 2,5 milliards d'utilisateurs actifs mensuels a été franchie, selon le «Digital Report 2020» de Hootsuite et We are social. On est donc à peu près sûr d'y trouver n'importe qui. Et d'abord, ses amis. Jusqu’en 2019, on pouvait dénicher beaucoup d’informations sur les profils publics en utilisant le moteur de recherche Facebook Graph Search : grâce à des mots-clés, on pouvait apprendre ce qu'ils aiment, où ils sont allés en vacances, leurs positions politiques... Mais l'outil a été bridé en 2019, pour des histoires de sécurité des données.

A la place, on peut tenter d’aller fouiner en ligne en utilisant un agrégateur, comme Webmii, qui regroupe toutes les infos publiques disponibles, que ce soit sur un ex-collègue ou un cousin éloigné. Attention : en cas de nom très commun et répandu, les homonymes risquent d’être nombreux et de rendre difficile la pêche aux informations croustillantes ou utiles.

Du coup, cap sur Instagram. Ce réseau est le paradis des «lurkers» (de l'anglais «to lurk», se planquer). Façon plus branchée d’appeler les voyeurs : ces consommateurs passifs de la vie des autres, qui utilisent les réseaux sociaux pour observer, regarder, commenter, mais sans se mouiller eux-mêmes. Une communauté silencieuse qui jamais n'alimente ou ne «like». Sur Facebook par exemple, un utilisateur sur cinq «lurke». Et sur Twitter on estime que 10% des comptes produisent 80% des contenus. Mais au final tout le monde s’y retrouve : la plupart des études considèrent que les lurkers sont des relais d'influence, car ils propagent les idées qu'ils glanent dans la vraie vie.

Le grand classique du stalk sur Insta, c'est le «finsta», pour «fake Instagram». L’idée est simple : on se crée un faux compte, sous une identité bidon. Attention, il faut le faire avec une adresse mail différente de celle utilisée pour Facebook et ne pas le lier à son carnet d’adresses, afin de bien s'assurer que ce faux compte n'a pas la même liste d'abonnements que le vrai. Sinon, on risque d'être démasqué!

Vous pouvez tenter d’utiliser la géolocalisation : en faisant une recherche sur un lieu – comme votre bureau –, vous verrez les photos qui y ont été prises et postées. Vous pouvez ainsi essayer de tomber sur les comptes de vos collègues s’ils ont pris des photos à proximité. Et ce, même si ces comptes ne sont pas à leurs noms. Vous pouvez aussi faire une recherche autour des restaurants ou des bars fréquentés par les gens que vous voulez espionner. Ou des évènements auxquels ils ont assisté (match de foot, concert…).

Bien sûr, on peut avoir de mauvaises surprises. Entrer le nom d’un voisin sympathique et découvrir qu’il inonde de commentaires ou de tweets des groupes, des forums et des pages d'actu. Il ne mâche pas ses mots, pratique le «hating» sur n'importe quoi: l'islam, les antimasques, la loi sur la fin de vie, le mouvement #MeToo, le chômage partiel... Mais pourquoi tant de haine ? Et d'opinions exprimées en public, surtout. Car poster de tels messages revient à hurler ses pensées les plus secrètes dans la rue. Pour la sociologue Catherine Lejealle, il y a deux explications: «Tout d'abord, cela fait écho au discrédit des experts. Il existe une crise de confiance envers les marques, les médias, les politiques... On les suppose tenus par des contrats ou des enjeux.

S'il s'agit d'un produit, plutôt que la publicité de la marque, on préférera l'avis des consommateurs. Le contexte d'usage plutôt que le mensonge marketing...» Et la deuxième explication ? «Donner son point de vue, c'est valorisant. Notre parole est relayée, contestée, donc prise en compte. C'est une façon d'exister, et même de devenir “expert” au sein d'une communauté.» Peut-être enfin qu'écrire des messages partout, à la façon de l'escargot qui répand sa salive, est une façon de laisser une trace narcissique. Une forme de postérité numérique.

Mais que faire ensuite de ces informations que l’on récolte ? On a le droit, après tout, puisqu’elles sont publiques… Surtout, ces miettes sont souvent celles qu’on veut bien nous laisser voir. «Les gens calculent ce qu'ils exposent, assure Catherine Lejealle. Les jeunes de la génération Z en particulier savent parfaitement construire leurs stories. Ils se mettent en scène (3), montrent leur meilleur profil, filtrent (dans tous les sens du terme) comme il faut.» Le chercheur néerlandais Tijman Shep a su, à ce propos, identifier un phénomène : le «social cooling». C'est-à-dire une sorte d'autocontrôle tiède, car on se sait surveillé, par les Gafam comme par son employeur ou ses amis.

Et puis chercher quelques miettes laissées par les autres sur la toile, ce n’est pas du vrai stalking. Ce qui est inquiétant, c’est quand cela vire à la traque et devient «une chasse obsessionnelle durant laquelle une personne s'engage dans un comportement anormal et durable de menaces et de harassement dirigé vers un individu précis», selon les termes du psy américain John Reid Meloy.

Et si l'avenir appartenait aux invisibles ? A ceux qui ne sont ni sur Twitter ni sur Instagram, TikTok, ou Snapchat... En 2018, une étude de l'université de Pennsylvanie montrait que moins on passait de temps sur les réseaux sociaux, plus notre humeur s'améliorait. Vivons heureux, vivons cachés ? Pour Catherine Lejealle, c'est non. «Il ne faut pas s'effacer. Mais trouver le juste équilibre et maîtriser son flux. On a besoin de ce prolongement virtuel. Pour exister soi, même si cet avatar est un peu un autre.»

Tout ce que l'on peut apprendre grâce à Google

  • Recherche inversée. Vous voulez savoir qui vous a appelé? Dans la barre de recherche, entrez le numéro de téléphone entre guillemets. Essayez d’abord en collant les chiffres, puis avec des espaces ou des points entre les numéros («0612345678» ou «06 12 34 56 78» ou «06.12.34.56.78») et lancez la recherche. Vous pouvez aussi le faire avec un numéro dont vous connaissez le propriétaire pour voir s’il y a des pages associées (annonces en ligne, CV...).
  • Recherche photo. Sur Images.google.fr, vous pouvez télécharger une photo et lancer une recherche à partir de l’image. Par exemple, en chargeant la photo d’un profil Twitter, vous pouvez voir si elle est utilisée sur d’autres réseaux. Ou à partir d’une photo d’annonce immobilière, voir si le bien est réel ou en vente depuis... des mois.
  • Pages en cache. Google conserve en cache des versions anciennes de certaines pages. Pratique si des informations ont été modifiées... Vous pouvez aussi fureter sur le site Web.archive.org pour retrouver des pages qui ne sont plus en ligne (comme d’anciens blogs).
  • Street view. Sur Google Maps et Google Street View, une fonction permet de remonter le temps... et de voir à quoi une adresse ressemblait lors des précédents passages de la Google Car. Pas mal pour espionner les travaux réalisés par ses voisins ou suivre l’évolution de votre ancienne ou future maison...

Source: Capital

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