Reprendre une entreprise
Reprendre une entreprise : l'alternative entrepreneuriale
Publié par Pierre Lelièvre journaliste le 12 avr. 2019 sur https://www.chefdentreprise.com/
La reprise d'entreprise reste peu utilisée par les candidats à l'entrepreneuriat. Pourtant, cette démarche n'a pas que des inconvénients. Histoire, savoir-faire et pérennité d'une activité s'affichent comme des raisons opportunes de se lancer dans l'aventure. Reste à bien maîtriser ce long processus.
Une reprise sans accroc.
Anne Anquetin, actuelle dirigeante de la Passementerie Verrier Paris, témoigne d'un parcours sans improvisation et sans difficulté. En mars 2018, elle signe la reprise de l'entreprise séculaire en passementerie après un processus de dix-huit mois et une vie professionnelle de cadre dans une grande entreprise d'informatique. "Je cherchais à reprendre une activité pertinente en termes de savoir-faire, qui correspondait à mes envies de m'inscrire dans une activité d'embellissement de l'intérieur, se souvient-elle. Le besoin de fabriquer, la quête du concret et l'envie de devenir chef d'entreprise ont aussi guidé ma recherche."
L'entrepreneuriat, plébiscité aujourd'hui à travers la création d'entreprise, ne se résume pas qu'aux start-up. La reprise d'entreprise constitue, dans la dynamique entrepreneuriale, une alternative pertinente à la création. "Reprendre une entreprise, c'est gagner du temps et s'inscrire dans une activité avec une histoire, une existence, estime Brenka Berthoumieux, responsable du service Reprise-transmission à la CCI Paris Ile-de-France. C'est aussi moins risqué que de lancer un projet ex nihilo même si le processus peut être long." En moyenne, un dossier de reprise nécessite entre 18 et 24 mois pour être mené à terme.
Une démarche qu'encourage Bernard Fraioli, président de l'association Cédants-Repreneurs d'Affaires (CRA) : "Il y a beaucoup de bruit autour de la création et assez peu autour de la reprise d'entreprise. Pourtant, reprendre une activité c'est maintenir et développer quelque chose d'existant. Il y a en commun l'esprit d'entreprise".
À l'instar d'Anne Anquetin, ils sont jusqu'à 7 000 à être concernés chaque année en France, selon les estimations de la CCI Paris Ile-de-France, par une reprise d'entreprise. "Le marché est opaque et il est difficile de se rendre compte du nombre exact de reprise d'entreprise", constate Brenka Berthoumieux. Le marché de la cession est en effet particulièrement difficile à appréhender. Si l'Observatoire BPCE estime à 75 000, chaque année, le nombre d'entreprises cédées et transmises, seule une grosse poignée est reprise par un acteur physique externe.
D'autant que le vieillissement de la population va accroître le nombre d'entreprises à venir se positionner sur le marché de la cession. Un tiers des entreprises françaises ont un patron de plus de 55 ans, selon le réseau consulaire. Un chiffre à mettre en regard des 76 % de PME transmises avant les 60 ans du dirigeant, d'après les chiffres de l'Observatoire BPCE.
Cerner le marché
"Le marché de la reprise d'entreprise a ses spécificités. Il y a un fort déséquilibre entre l'offre et la demande, il concentre beaucoup de TPE et une large part de ce marché est cachée. Concrètement, les offres de cession ne sont pas publiquement annoncées", note Jean-Louis Picollo, président de l'Anacofi et de la société Resolvys, spécialisée en cession et transmission de PME. Des difficultés prégnantes lorsque vient le moment de trouver la perle rare. "Le problème du sourcing est la première difficulté à laquelle font face les repreneurs", complète l'expert.
Une situation vécue par Anne Anquetin au moment de dénicher sa cible. "Trouver les dossiers qui donnent envie d'y aller tout en tenant compte de ses contraintes financières est très délicat", estime la gérante de cette entreprise d'une dizaine de salariés.
La recherche d'une cible passe alors par plusieurs axes, tant sur les moyens à mobiliser que sur les critères. Des sites internet réunissant les offres de cessions (places de marché du CRA ou de Bpifrance, etc...) aux réseaux personnels et professionnels à mobiliser pour partager son intérêt à une reprise, aucun levier ne doit être sous-estimé, pas même celui des professionnels de l'accompagnement : CCI, associations, experts-comptables, avocats d'affaires... "Il faut se donner les moyens en amont, chercher partout, être mobile et surtout ne rien négliger", fait savoir l'experte consulaire.
Quitte à prospecter même celles qui n'affichent pas publiquement leur intention de vendre. "Si les annonces existent, c'est que les cédants ont entamé une démarche, précise le président de l'Anacofi. Pour autant, le marché caché oblige à prospecter les entreprises qui ne se sont pas déclarées en cession. Cela veut dire qu'un projet de vente n'a pas été forcément engagé mais que le dirigeant ne l'exclut pas."
Pour sa part, Bernard Fraioli conseille "de multiplier les cibles et passer le marché en revue." Il n'est en effet pas rare d'avoir quatre ou cinq dossiers de reprise par entreprise.
D'autant que si trouver la bonne cible s'avère fastidieux, la démarche passe aussi par la définition et la formalisation d'un projet de reprise cohérent en amont.
Une première étape qui est bien souvent bâclée par les candidats à la reprise, selon les spécialistes. "Une approche qualitative et documentée de chaque entreprise va de pair avec la bonne définition de son projet professionnel de reprise. Il faut d'abord y intégrer les aspirations de son entourage familial, ses forces et ses faiblesses, ses compétences et la valeur ajoutée que l'on souhaite apporter. Ensuite, il faut faire matcher ça avec sa cible", souligne Bernard Fraioli. Un enjeu souvent négligé qui "permet de faire gagner du temps par la suite", estime Brenka Berthoumieux.
Négocier avec brio
Une fois la cible verrouillée, vient alors l'étape cruciale de la négociation. Conséquente en termes de démarches, elle débute par la formalisation de l'intérêt du repreneur pour l'entreprise cédée à travers la lettre d'intention (L.O.I. pour Letter of intention). "La L.O.I. annonce le prix proposé par le repreneur et les conditions d'acquisition, ce qui laisse le choix au cédant de retenir tel ou tel dossier", fait savoir le président de l'association CRA.
Pour rassurer le cédant qui sera amené à dévoiler des informations parfois confidentielles ou sensibles, être à l'écoute et prévenant permet de bâtir la relation sur de bonnes bases. "Les futurs repreneurs oublient bien souvent d'arriver avec un engagement de confidentialité. Ça permet de couvrir les échanges et de rassurer le cédant", estime Jean-Louis Picollo.
De même, s'entourer de conseillers spécialisés est indispensable. "C'est primordial de disposer des conseillers comme la vision d'un expert-comptable ou d'un avocat d'affaires. Ils maîtrisent la formulation juridique des étapes et savent ce qu'ils font", reconnaît la dirigeante parisienne, qui déplore parfois que "certains agitent des chiffons rouges un peu trop rapidement malgré tout".
Une phase d'attente que doit mettre à profit le repreneur pour trouver, en parallèle, les financements. Les banques sont bien souvent mises à contribution et se montrent ouvertes aux projets de reprise. "Deux choses sont à savoir lorsqu'on s'adresse aux banques, avance Eric Bouron, expert-comptable et président élu en charge du comité Transmission au Conseil supérieur de l'Ordre des Experts-Comptables de France. D'une part, elles demandent généralement un tiers du montant de l'opération en apport personnel. De l'autre, elle exige dans le business plan que 70 à 75 % du résultat net historique soient alloués au paiement de la dette du LBO". Des conditions qui peuvent évoluer à la marge mais qui laissent le choix au repreneur de multiplier les dossiers auprès des banques. "Faites vos courses, comparez les taux et les conditions de garanties", conseille-t-il.
Pour soutenir les projets de reprise, les aides sont nombreuses. Bpifrance propose par exemple, outre le Pass Repreneur, la formation Garantie Transmission qui se présente comme une contre garantie de 50 à 70 % du concours bancaire. De même, d'autres dispositifs financiers existent. Par exemple, le prêt Nacre ou les prêts d'honneur du Réseau Entreprendre ou d'Initiative France, des formations et un accompagnement comme le propose l'association CRA ou encore des aides fiscales et sociales.
La signature du protocole de vente entre le cédant et le repreneur intervient pour signifier et acter l'ensemble des informations relatives à la cession et aux conditions d'acquisitions définitives. La période d'audit est, elle, réalisée par des professionnels (avocats d'affaires, experts-comptables,...) qui effectuent une analyse détaillée des indicateurs fiscaux, comptables, sociaux et financiers mais également du business (commercial, marketing, développement...), permettant au repreneur de savoir exactement dans quel projet il s'engage.
Une étape résumée par Jean-Louis Picollo : "Négocier, c'est avaler des couleuvres sans trop le montrer, estime-t-il. Le cédant voudra vendre cher, il faut être assez souple mais se mettre des barrières à ne pas franchir". Il n'empêche, si la négociation est bien souvent un exercice délicat, Eric Bouron rappelle que "ce n'est pas au repreneur de dire les choses désagréables au cédant, c'est à ses conseils." Un enjeu pour garder les relations aussi bonnes que possible jusqu'à la fin du closing.
(Re)prendre pied
"L'après-closing est un moment déterminant, relève Brenka Barthomieux. Il y a à la fois un sentiment de solitude et de quête de légitimité face aux équipes. La question que se pose bien souvent un dirigeant est comment faire adhérer l'équipe au projet et les rassurer sur l'organisation et la stratégie déployée."
Faut-il pour autant opérer une transition avec le cédant ? Une question clé qui n'impose pas de réponse évidente. Une période charnière en présence du dirigeant sur le départ peut s'avérer utile dans l'appropriation du nouveau rôle du repreneur. "Si le business plan assoit la stratégie envisagée par le repreneur, reste à gagner en légitimité auprès des équipes en place", estime Bernard Fraioli. L'association CRA préconise d'ailleurs une courte période de transition et d'accompagnement pour asseoir les bases de la future gouvernance. Pour pallier les différents manques que pourrait ressentir le repreneur, le réseau des CCI dispense au travers de son Ecole des Managers une formation pour inculquer les compétences nécessaires au maintien de l'activité et assurer le développement de l'entreprise.
Reste qu'une fois la reprise assurée et effective, penser à l'avenir ne se résume pas seulement à gérer et développer l'activité. "Dans beaucoup de dossiers de cession, la question de la transmission est abordée trop tard par le dirigeant. N'attendez pas d'avoir 60 ans. La cession s'anticipe dès la reprise", suggère Anne Anquetin, déjà accaparée par la suite à donner à son aventure entrepreneuriale. Un ultime conseil qui évitera bien des soucis le moment venu.
Une reprise en sept étapes clés
- Lettre d'intention
La lettre d'intention (L.O.I.) fige l'accord, propose un prix et un périmètre d'acquisition et détermine les conditions suspensives (audit et financement).
- Recherche du financement
Trouver les bons financements au projet de reprise nécessite de préparer un dossier de présentation et de le soumettre aux banques. Il inclut notamment le business plan du repreneur.
- Protocole de vente
Le protocole de vente (ou compromis) grave dans le marbre les éléments de la négociation (prix, clause d'earn out et de garanties dont la garantie d'actif et de passif, accompagnement, trésorerie, valorisation des stocks...).
- L'audit
Réalisé par un professionnel, l'audit porte à la fois sur une étude précise des points techniques (fiscalité, comptabilité, social et finances) et de la partie business (commercial, marketing, développement, services et produits).
- Levée des conditions suspensives
La levée des conditions suspensives correspond au moment où l'audit et la recherche des financements sont validés.
- Préparation du closing
Dernière étape avant l'achat de la société, la préparation du closing intervient lorsque toutes les exigences du cédant et du repreneur sont remplies.
- Closing
Phase finale du processus de reprise, le closing acte l'achat de l'entreprise par le repreneur.
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