Airbus-Boeing : Le duel industriel
AIRBUS-BOEING : LE PLUS GRAND DUEL INDUSTRIEL DE TOUS LES TEMPS
Les crashs de deux B737 max et l’accident industriel qui guette Boeing rebattent les cartes et relancent la bataille de titans que se livrent les deux avionneurs. Nouvel état des forces.
AIRBUS-BOEING : LE PLUS GRAND DUEL INDUSTRIEL DE TOUS LES TEMPS
Les crashs de deux B737 max et l’accident industriel qui guette Boeing rebattent les cartes et relancent la bataille de titans que se livrent les deux avionneurs. Nouvel état des forces.
L’un rit, l’autre pleure. Le 5 février dernier, l’humeur était à la fête à Seattle. Le supervendeur de Boeing, Ihssane Mounir, avait réuni tous ses commerciaux au Washington State Conference Center, pour une folle soirée animée par la star John Travolta, lui-même pilote chevronné et client de la marque. Ce que les Américains célébraient ce soir-là ? Leur victoire, bien sûr. En 2018, Boeing a distancé son rival sur les deux principaux critères de l’industrie aéronautique : le nombre de commandes et le nombre de livraisons. Neuf jours plus tard, à Toulouse, l’ambiance était tout autre : morose. Tom Enders, le P-DG d’Airbus qui quittera ses fonctions en avril, annonçait sa décision de mettre un terme au programme A380.
Gardons-nous pour autant d’en tirer des conclusions hâtives. «Car dans le business des avions civils, Airbus et Boeing restent à 50% de part de marché chacun, rappelle Stéphane Albernhe, consultant au cabinet Archery. Bien sûr, l’un peut faire mieux que l’autre sur une année, mais sur le temps long, l’écart se rééquilibre toujours.» La raison ? Ni les 250 compagnies aériennes clientes, ni les centaines de sous-traitants de nos deux mastodontes (qui fabriquent encore plus de 60% des avions) n’ont intérêt à ce que l’un prenne l’avantage trop durablement sur l’autre. A Seattle, on se garde donc de tout triomphalisme. «Nous avons certes fait la fête, nous confiait Mike Fleming, le vice-président en charge des services du constructeur américain, à Seattle. Mais un jour seulement ! Pas question de se relâcher : nos amis de Toulouse sont des durs à cuire.»
Boeing vs Airbus : le duel
Boeing : champion des gros porteurs. 53 milliards d'euros de chiffre d'affaires (en 2018, dans les avions commerciaux). Grâce à sa gamme de B777 (plus de 2.000commandes à ce jour, un record) et de B787, l’américain devance les A350 et A330. Et se trouve conforté par l’arrêt de l’A380.
Airbus : dominant sur le moyen-courrier. 48 milliards d'euros de chiffre d'affaires (en 2018, dans les avions commerciaux).Best-seller de l’européen, l’A320neo vise 70livraisons par mois ! Le B737 Max, qui semblait en passe de le rattraper avec 5.000commandes, va-t-il être freiné dans son élan ?
Jamais, dans l’histoire récente, un duel industriel n’avait été aussi démesuré (voir l'interview de notre journaliste ci-dessus). Avec seulement deux acteurs. Pratiquement au même niveau technique. L’un européen, l’autre américain. L’un salarie 140.000 personnes (Boeing), l’autre 130.000 (Airbus). L’un récolte 53 milliards d’euros de chiffre d’affaires dans les avions commerciaux (Boeing), l’autre en engrange 48 (Airbus). Vingt-quatre heures sur vingt-quatre leurs ingénieurs se comparent et leurs commerciaux rivalisent d’imagination pour emporter les contrats. A eux deux, ils se partagent un fabuleux gâteau qui ne cesse de grossir. Songez que, d’ici vingt ans, les compagnies aériennes auront besoin de 43.730 avions neufs, selon les estimations de Boeing, soit le double de la flotte actuelle. Un marché de… 6.300 milliards de dollars.
2018, une année plus favorable à Boeing qu'à Airbus
Ces chiffres peuvent paraître insolents. Les militants écologistes ne rappellent-ils pas que les avions sont responsables d’une bonne partie des émissions de CO2 dans l’atmosphère et qu’il faudra, de ce fait, les taxer plus durement à l’avenir ? «La menace d’un durcissement de la régulation en Europe est réelle, reconnaît Yan Derocles, analyste chez Oddo Securities. Mais les prévisions des avionneurs se sont toujours réalisées.» Ces derniers préparent déjà la nouvelle génération, plus propre et de nature à limiter la casse environnementale. La croissance sera tirée par la zone Asie-Pacifique, dont les besoins sont tels qu’elle représente déjà 40% des ventes d’avions. «A elles seules, les compagnies chinoises et indiennes commanderont plus de la moitié des nouveaux appareils», pronostique Richard Aboulafia, consultant au cabinet Teal Group, à New York.
Ces temps-ci, on l’a dit, Airbus n’est pas dans une forme olympique. Il a enregistré 747 commandes fermes en 2018, contre 893 pour Boeing. Et il a livré 800 avions contre 806 pour son rival. Enfin, début mars, son action s’échangeait autour de 110 euros en Bourse, quand son rival faisait plus de trois fois mieux. «Ce différentiel de valorisation s’explique en partie par les contrats de Boeing avec la NASA et l’US Air Force, qui lui permettent de dégager beaucoup de cash», nuance Yan Derocles. De fait, alors que Boeing voit ses programmes militaires financés à 100% par les Etats-Unis, même quand ils sont déficitaires, Airbus a déjà dû passer près de 4 milliards de provisions sur le seul programme A400M.
Boeing se cacherait-il derrière les enquêtes américaine et britannique ? «Absolument pas !», assurent en choeur ses dirigeants. Et quant à ceux d’Airbus, ils se refusent à s’exprimer publiquement sur le sujet. Mais on s’inquiète en interne. «Les avocats en charge de la défense d’Airbus sont tous anglo-saxons, s’agace l’ancien patron d’une division du groupe. Et ils ont été autorisés à copier toutes les données, de tous nos ordinateurs.» Certains voient même des espions partout. «En 2015, Tom Enders a nommé à la tête de notre R&D l’américain Paul Eremenko, qui avait commencé sa carrière dans un laboratoire proche du Pentagone, relate un autre “Airbus Man”. Eremenko est parti deux ans plus tard, après avoir foutu en l’air de nombreux projets.»
Mais que les Toulousains se rassurent. D’abord, ils sont toujours les rois du carnet de commandes, avec 7.390 avions à produire contre 5.948 pour Boeing. Cela s’explique par leur avance sur les monocouloirs (avions de 150 à 230 places), qui représentent six ventes d’avions sur dix, alors que les gros-porteurs, comme feu l’A380, ont plus de mal à trouver preneur. «Un A320 décolle à chaque fois que vous respirez», se félicite Christian Scherer, le directeur commercial d’Airbus. Les compagnies à bas coût, qui multiplient les allers-retours pour assurer leur rentabilité, s’arrachent ces avions. «Elles ne peuvent pas se permettre d’avoir des pannes, explique François Caudron, qui dirige le marketing d’Airbus. Et ils ont un taux de fiabilité de 99,8%.» Une sacrée performance, quand l’on sait que certains de ces moyen-courriers volent seize heures par jour, soit moitié plus qu’il y a dix ans.
Les commerciaux de Toulouse disposent, en outre, d’une avance confortable sur le nouveau secteur des moyen-courriers à long rayon d’action. Moins onéreux que les «wide-bodies» comme leurs A350, ou les Triple Sept et les B787 de Boeing, plus polyvalents, ils peuvent assurer des vols de plus de dix heures. «Avec son rayon d’action de 7500 kilomètres, L’A321LR d’Airbus taille des croupières à la gamme B737 Max de Boeing sur ce segment naissant», rappelle Richard Aboulafia. D’autant que les accidents récents, en Indonésie et en Ethiopie, de deux B737 Max 8, ont jeté le trouble sur la fiabilité de cet avion. Voilà pourquoi le géant de Seattle songe à une nouvelle riposte. «Nous réfléchissons à annoncer un “New Midsize Airplane” d’ici la fin de l’année», explique Randy Tinseth, le directeur marketing du groupe. Ce type de projet se chiffre à 10 milliards de dollars. «Je n’attends qu’une chose, lance Christian Scherer chez Airbus, un tantinet bravache. C’est qu’ils le dégainent pour qu’on puisse les laminer.»
Nos géants seront-ils toujours deux à danser le tango ? Une chose est sûre : ils n’ont fait qu’une bouchée des concurrents potentiels. Airbus a racheté, en juillet 2018, le programme C-Series du canadien Bombardier pour un dollar symbolique. Et Boeing a répliqué quelques mois plus tard en s’offrant l’avionneur brésilien Embraer pour 3,8 milliards de dollars. «La réponse du berger à la bergère», observe le consultant Stéphane Albernhe. Résultat, ils sont toujours deux. Bien sûr, les avions chinois arrivent. Mais, de l’avis général, ils ne sont guère au point. Des startupeurs, comme Elon Musk et son projet Space X qui a ringardisé Ariane, pourraient-ils s’inviter dans la danse ? «Il ne faut surtout rien exclure, estime Mike Fleming, de Boeing. Dans ce métier, il faut toujours rester sur ses gardes, et affamé.» Il se cale dans son large fauteuil et nous demande : «Ai-je l’air affamé ? Oui !»
Le C919 du chinois Comac a-t-il une chance de contester leur duopole ?
Airbus et Boeing ont les yeux rivés sur la Chine. D’abord parce que ses compagnies leur assurent une bonne partie des commandes d’avions. Mais aussi parce que l’entreprise publique Comac est bien décidée à les concurrencer avec son C919, une version à la sauce cantonaise des A320 et B737, qu’elle développe depuis près de dix ans. Le duopole a-t-il
des raisons de s’inquiéter ? Oui, estime l’analyste Yan Derocles, pour qui Comac pourrait s’adjuger 30% des ventes d’avions monocouloirs d’ici vingt ans. «Leur C919 est certes inférieur techniquement, reconnaît-il. Mais il sera vendu moins cher, et Pékin obligera les nombreuses compagnies locales à en acheter : à preuve, sur les 305 commandes fermes à ce jour, seules 10 ne proviennent pas de compagnies chinoises.» Le directeur général du motoriste Safran, Philippe Petitcolin, a un avis plus nuancé sur la question. «Comac prévoyait de livrer son premier avion de série en 2016, rappelle-t-il. Or seuls trois appareils d’essai ont déjà volé, quand il en faut six pour obtenir une certification internationale.» Dans ses cartons, l’avionneur chinois a aussi un projet de long-courrier avec un fuselage en carbone, qu’il développe avec une filiale du russe Soukhoï et qu’il espère lancer en 2025. Le rendez-vous est pris.
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