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01 mars 2019

Monter en hiérarchie altère-t-il nos relations sociales ?

| Social

 

Le blog des experts des neurosciences

Gaetan de Lavilléon, Marie Lacroix, et Emma Vilarem, docteurs en neurosciences intégratives et cognitives

Gaetan de Lavilléon, Marie Lacroix, et Emma Vilarem sont docteurs en neurosciences intégratives et cognitives. Ils ont travaillé plusieurs années à la compréhension des mécanismes fins qui régissent notre mémoire, notre sommeil, nos émotions, ou encore nos interactions sociales et ont fondé l’agence Cog’X. Ils portent un regard scientifique sur les enjeux cognitifs du travail.


 

Tout individu a probablement déjà fait l’expérience d’une relation difficile avec un supérieur hiérarchique. Bien que toute relation sociale ne soit pas toujours simple, il semble que quelque chose dans la relation de pouvoir puisse déstabiliser l’interaction entre deux individus. Mais qu’entend-on d’abord par « pouvoir » ? Le mot pouvoir provient du latin potere, qui signifie avoir la capacité de. Bien que d’après l’étymologie, le pouvoir réside dans la personne qui le détient, le pouvoir est avant tout un concept relationnel, qui dépend du niveau d’influence ou de contrôle qu’un individu a sur un autre individu.

Cette capacité d’influence impacterait-elle alors la façon dont un individu fonctionne et gère ses relations sociales ? La recherche en sciences cognitives révèle en effet que la montée en hiérarchie d’un individu n’est pas anodine pour ses ressources cognitives : le pouvoir transformerait la façon dont un individu interagit avec le monde et les autres. D’après ces études, cette situation pourrait avoir à la fois des conséquences positives pour l’individu, et des conséquences négatives pour sa vie sociale.

Le pouvoir dynamise l’individu

Le pouvoir serait un « accélérateur psychologique ». Il impacterait particulièrement les comportements qui sont orientés vers des buts : il aiderait l’individu à définir des objectifs, à focaliser son attention dessus, à se lancer à leur poursuite, et à déployer les efforts nécessaires pour les atteindre [1]. Les individus se trouvant dans une position de pouvoir seraient également plus persévérants malgré les obstacles rencontrés sur la route menant à leur but, comparé à des individus ne se trouvant pas dans une position de pouvoir.

Également, le pouvoir déclencherait une volonté de penser, de parler et d’agir dans les domaines que l’individu juge importants. Il amplifierait l'expression de soi, la communication de ses besoins et désirs, et renforcerait la confiance en soi [2]. Généralement, dans les contextes collectifs, les individus qui ont le pouvoir s’expriment sans difficulté, savent communiquer leurs visions, et prennent plus facilement des décisions.

Ces différents avantages que le pouvoir confère à un individu sont particulièrement pertinents dans le quotidien de travail. Ils permettent à l’individu d’orienter ses ressources vers les buts prioritaires de l’entreprise, et facilitent donc l’atteinte de ces objectifs.

… au détriment de ses relations sociales …

Seulement, nos ressources cognitives ne sont pas infinies : lorsqu’elles sont captées par certaines tâches, elles le sont généralement au détriment d’autres tâches plus secondaires (c'est le cas de notre attention par exemple). Ainsi, si le pouvoir réoriente les ressources de l’individu vers certains objectifs prioritaires, cela se répercute sur d’autres activités qui le sont a priori moins. A ce titre, la recherche en sciences cognitives suggère que le fait de poursuivre des objectifs stratégiques pour l’entreprise, activité qui concerne généralement les individus en position de pouvoir, a des conséquences délétères sur la manière dont ces derniers gèrent leurs relations sociales.

Notamment, de nombreuses études s’accordent aujourd’hui à démontrer que le pouvoir affecte différents mécanismes cognitifs cruciaux pour les interactions sociales. Un des mécanismes affectés est par exemple l’attention sociale, c’est-à-dire la propension à porter son attention sur les individus qui nous entourent. Les individus qui sont dans une position de pouvoir sont par exemple moins bons à percevoir et reconnaitre les émotions sur le visage d’autres individus [3]. Ils sont également moins réactifs face à l’émotion que pourrait ressentir quelqu'un d'autre, et ressentent moins de compassion.

Un autre comportement affecté est la capacité à adopter la perspective d’autrui. En effet, plus un individu monte en hiérarchie, plus son opinion fait foi, et moins il est exposé à des opinions divergentes qui l’inciterait à changer de point de vue. Ainsi, cette capacité, déjà couteuse pour le cerveau car il adopte par défaut un point de vue égocentré, tend à s’affaiblir. En parallèle, les biais égocentriques, qui nous focalisent sur notre propre point de vue, tendent à se renforcer.

Le pouvoir permettrait donc à un individu de mobiliser ses ressources pour atteindre ses objectifs avec succès, mais cela se ferait généralement au détriment de la qualité de ses interactions sociales. Pourtant, le fait de négliger les salariés réduit considérablement les bénéfices de l'organisation, ainsi que l'engagement et le bien-être de ces derniers [4]. Alors, que faire ?

… sauf s’il y prend garde !

Des études ont montré que les leaders qui sont volontairement tournés vers les autres, qui se demandent ce que pensent et ressentent leurs interlocuteurs, qui ressentent un sens de responsabilité vis-à-vis de leurs équipes, améliorent ou même inversent ces tendances. Par exemple, une étude menée dans 73 organisations a révélé que les PDG ayant un haut degré de responsabilité sociale et de souci pour leurs équipes avaient un leadership plus éthique, ce qui était alors lié à une efficacité accrue et un climat social apaisé [5].

Ainsi, face à la montée en hiérarchie qui tend à détourner les ressources de l'individu vers les objectifs stratégiques de l’entreprise, souvent non sociaux, adopter une posture prosociale peut permettre de compenser les effets potentiellement délétères du pouvoir [6]. Etant donné l'importance cruciale d'un climat social sain dans l'entreprise, il est urgent de sensibiliser et former les leaders, présents et futurs, aux conséquences du pouvoir sur leurs fonctions cognitives. Au delà de la formation, il est essentiel de faire de la qualité des interactions sociales un enjeu central et un facteur incontournable de réussite pour l'entreprise. Un moyen d'action pourrait être de repenser les process de telle sorte à ce que les managers soient incités à porter leur attention de manière plus récurrente vers des indices sociaux, tels que les besoins et les opinions de leurs collaborateurs.

 

Références

[1] Guinote, A. (2007). Power and goal pursuit. Personality and Social Psychology Bulletin, 33(8), 1076-1087.
[2] Guinote, A. (2017). How power affects people: Activating, wanting, and goal seeking. Annual Review of Psychology, 68, 353-381.
[3] Galinsky, A. D., Magee, J. C., Inesi, M. E., & Gruenfeld, D. H. (2006). Power and perspectives not taken. Psychological science, 17(12), 1068-1074.
[4] Pfeffer, J. (2007). Human resources from an organizational behavior perspective: Some paradoxes explained. Journal of Economic Perspectives, 21(4), 115-134.
[5] De Hoogh, A. H., & Den Hartog, D. N. (2008). Ethical and despotic leadership, relationships with leader's social responsibility, top management team effectiveness and subordinates' optimism: A multi-method study. The Leadership Quarterly, 19(3), 297-311.
[6] Galinsky, A. D., Magee, J. C., Rus, D., Rothman, N. B., & Todd, A. R. (2014). Acceleration with steering: The synergistic benefits of combining power and perspective-taking. Social Psychological and Personality Science, 5(6), 627-635.

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