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20 minutes le 21/03/22
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24 mars 2022

Emploi : Après les Etats-Unis, la « Grande démission » est-elle en train d’arriver en France ?
Les Etats-Unis enregistrent une vague de démissions sans précédent depuis l’été 2021. Et des signaux similaires, quoique de moindre intensité, apparaissent dans l’Hexagone

Publié par Delphine Bancaud | Entreprises

 Les Etats-Unis sont en proie au « Big Quit », autrement dit la « Grande démission ». Un phénomène qui s’illustre par la propension des salariés à quitter leur poste.

En France, certains chiffres montrent que ces derniers mois, les salariés sont plus nombreux à démissionner ou à signer une rupture conventionnelle .

Marché de l’emploi davantage porteur, quête de sens, nouvelles exigences vis-à-vis de leur employeur expliquent en partie ces velléités de changement.


C’est bien connu : ce qui arrive aux Etats-Unis finit toujours par se réaliser en France. D’où l’attention particulière de nos économistes, sociologues du travail et chefs d’entreprise au phénomène du « Big Quit » ou de la « Great Resignation ». Des expressions qui qualifient la vague de démissions massives de ces derniers mois au pays de l’oncle Sam. Rien qu’en novembre 2021, plus de 4,5 millions d’Américains ont quitté leur travail pour naviguer vers d’autres contrées professionnelles.

Or, en France, depuis quelques mois, l’envie de faire son carton est de plus en plus en vogue chez les salariés, comme l’observe Vincent Meyer, professeur de gestion des ressources humaines et théorie des organisations à l’EM Normandie :  « La France enregistre une croissance record des taux de démissions (+10 % en juin et +20 % en juillet 2021 par rapport à 2019) et des niveaux encore jamais enregistrés par la Dares : + 620.000 démissions et ruptures conventionnelles au 3e trimestre 2021 ». Un phénomène qui touche particulièrement les PME. Car selon une autre étude de la Dares publiée en février 2022, entre juillet et octobre 2021, les départs volontaires ont augmenté de 17 % pour les établissements de plus de 50 salariés, et de 21 % pour ceux de 10 et 49 salariés. « Cette tendance est aussi plus marquée dans certains secteurs (construction, hôtellerie-restauration…) », constate Vincent Meyer.

« Les salariés ont un rapport de plus en plus consumériste au travail »

Ces velléités de changement ont plusieurs explications. Tout d’abord, la reprise économique. Car le chômage est tombé à 7,4 % fin 2021. Et le taux d’emploi - la proportion de personnes occupant un emploi par rapport à l’ensemble de la population en âge de travailler – a atteint 67,8 % fin 2021, un niveau historiquement élevé. « Le marché du travail est très porteur actuellement, les embauches en CDI sont en hausse, donc les Français savent qu’il est plus facile de trouver du travail et même de se reconvertir », analyse Christophe Nguyen, cofondateur du cabinet Empreinte humaine, spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux.

La crise sanitaire a aussi été un déclencheur de ces envies d’ailleurs, observe Vincent Meyer : « Elle a permis à beaucoup de salariés de réfléchir au sens de leur travail et au style de management en vigueur dans les entreprises. Ils veulent plus d’autonomie et pouvoir télétravailler sans enchaîner 10 visioconférences dans la journée. »

Selon Christophe Nguyen, le rapport au travail s’est aussi modifié au cours de ces deux dernières années. « Certains salariés estiment ne pas avoir été bien traités par leur employeur pendant la crise sanitaire ; leur santé mentale n’a pas été prise en compte. Ils vivent une sorte de désillusion. Pour beaucoup, le travail n’est plus considéré comme un moyen privilégié de se réaliser. » Les exigences vis-à-vis de leur poste ont donc évolué : « Les salariés ont un rapport de plus en plus consumériste au travail, surtout les plus jeunes », note Vincent Meyer. « Ils ne veulent plus travailler dans les mêmes conditions qu’avant. Et le salaire est devenu primordial », complète Christophe Nguyen.

« Le manque de main-d’œuvre peut mettre l’activité d’une PME en difficulté »

Si l’on aurait pu croire que les cadres seraient les plus prompts à prendre la poudre d’escampette car ils bénéficient d’un marché de l’emploi plus porteur, les profils des candidats au départ sont en fait très variés : « Cette tendance touche aussi bien des personnes occupant des emplois très qualifiés, qui ne trouvent plus de sens à leur travail, que celles occupant des postes moins qualifiés et qui assistent à une taylorisation de leur métier (tâches répétitives et chronométrées, pression à la performance…) », relève Vincent Meyer. 

Et si, aux Etats-Unis, cette vague de démissions sans précédent pose problème aux entreprises, certains employeurs français commencent à percevoir les conséquences néfastes d’un important turn-over : « Le manque de main-d’œuvre dans certains services peut mettre l’activité d’une PME en difficulté. Il y a aussi un risque d’inflation salariale, car ce sont généralement les meilleurs salariés qui démissionnent et il faut revoir les rémunérations à la hausse pour attirer les meilleurs candidats. Ce qui peut poser des problèmes de rentabilité à moyen terme », note Vincent Meyer. « Recruter de nouveaux salariés implique de les former. Cela peut prendre du temps », ajoute Christophe Nguyen. Seul aspect positif de la situation : elle peut amener les entreprises à s’ouvrir à d’autres profils, « notamment à des salariés plus seniors. Une bonne chose quand on sait que l’âge est le premier facteur de discrimination à l’embauche », estime Vincent Meyer.

La nécessité pour les entreprises d’évoluer

Il existe cependant des solutions pour prévenir un trop grand nombre de démissions : « Il faut travailler sur les méthodes managériales en laissant plus d’autonomie aux collaborateurs, mais aussi plus de temps afin qu’ils aient l’impression de bien faire leur travail », recommande Vincent Meyer. « Il faut placer la qualité de vie au travail au centre des préoccupations, proposer plus de coaching aux salariés en difficulté, davantage d’actions sur le stress au travail… », énumère Christophe Nguyen. Et les entreprises en proie à d’importantes vagues de départs ne pourront pas s’exonérer d’un effort sur les salaires. Des négociations ont déjà eu lieu dans certaines branches, comme la restauration. Et les prochaines Négociations annuelles obligatoires (NAO) risquent d’être assez animées.

Reste à savoir si la guerre en Ukraine freinera les velléités de changements chez certains Français. « Si le marché se retourne, il peut y avoir une pause temporaire dans les démissions. Mais elles reprendront de plus belle après, car on est sur une tendance de fond », estime Vincent Meyer. « La sécurité de l’emploi n’est plus importante que pour 29 % des travailleurs en 2022, selon le dernier baromètre d’Empreinte humaine. La guerre peut freiner le désir de démissionner de certains. Mais globalement, quand un salarié a la volonté de quitter son employeur, il passe à l’action », renchérit Christophe Nguyen

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Delphine Bancaud
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