Qu’apprend-on vraiment dans une école d’ingénieurs ?
Type de cours, organisation des études, missions… Le point sur ce qu’on apprend – et ce qu’on n’apprend pas – dans les écoles d’ingénieurs, à l’heure des choix d’orientation sur Parcoursup.
Pour Astrid, l’école d’ingénieurs était la voie toute tracée. « Quand on est bon en maths en S, on est aiguillé vers une prépa qui mène aux écoles d’ingénieurs », observe cette jeune diplômée des Arts et Métiers, qui a choisi cette filière par goût pour la physique, et grâce à son père, lui-même ancien de son école. A l’image d’Astrid, beaucoup de jeunes s’engagent dans cette voie, à la fois prestigieuse et rassurante, par évidence, ou un peu par hasard, suite à de bons résultats en sciences au lycée.
Mais qu’apprend-on vraiment dans ces deux cents écoles publiques ou privées, qui réunissent 160 000 étudiants, et dont l’attractivité est en hausse ? Qu’on intègre une école directement après le bac ou bien à bac + 2, la formation d’ingénieurs va d’abord permettre « d’acquérir un socle de base scientifique solide », énonce Etienne Craye, de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI).
Tronc commun et spécialités
Au programme de ces cursus, délivrés dans des écoles indépendantes ou rattachées à des universités : un tronc commun à base de maths, physique, informatique, puis une spécialisation dans un secteur donné (informatique, travaux publics, aéronautique, etc.). Et, à la fin, un diplôme de niveau master (bac + 5). Mais n’est pas école d’ingénieurs qui veut : chaque formation, pour porter ce nom, doit être accréditée par la commission des titres d’ingénieur (CTI), qui vérifie qu’elle répond à toute une série de critères de qualité.
En cours, les professeurs font le lien en permanence entre théorie et pratique.
L’une des marques de fabrique de « l’ingénieur à la française » est sa proximité avec « les besoins des entreprises », souligne Morgan Saveuse, directeur des études de CESI Ecole d’ingénieurs. Alors qu’à l’étranger il est possible de devenir ingénieur sans expérience de terrain, la formation hexagonale prévoit un minimum de sept mois de stage, et des enseignements fondés sur les compétences. En cours, les professeurs font le lien en permanence entre théorie et pratique à travers des mises en situation.
Au CESI, par exemple, la pédagogie repose sur la résolution de problèmes. Objectif : placer l’étudiant en situation d’aller chercher lui-même les solutions scientifiques ou techniques. « Dans un monde où les technologies avancent à vitesse grand V, développer la capacité d’autoapprentissage est une nécessité », relève M. Saveuse. Clément Ruscassie, diplômé en 2011 de Supélec, ingénieur chez Ariane Group, fait l’expérience tous les jours des bienfaits de cette faculté à « apprendre à apprendre », qui lui permet de se plonger dans des sujets qu’il ne connaît pas.
Le développement des « soft skills »
Parmi les atouts de sa formation, le jeune ingénieur retient aussi « les compétences en matière de gestion de projets ». « Une dimension que les écoles ont beaucoup développée ces dernières années », relève Philippe Vidal, président du cabinet de recrutement Vidal Associates. De quoi aussi travailler les « soft skills » (compétences comportementales) indispensables dans des entreprises moins pyramidales, où un ingénieur doit savoir dialoguer avec tous les services, vendre son projet, faire preuve de créativité.
Aux Mines d’Albi, les étudiants ont un semestre pour répondre à une problématique confiée par une entreprise. Très répandu, ce type d’exercice est symptomatique d’une percée de la culture entrepreneuriale dans les écoles, qui sont nombreuses à disposer de leur propre incubateur.
A tout cela s’ajoutent des séjours académiques à l’étranger, et des possibilités de doubles diplômes avec d’autres filières ou écoles. Rachid, qui a intégré l’Ecole spéciale des travaux publics après un diplôme universitaire de technologie (DUT) en mesures physiques, envisage ainsi en master un double diplôme en gestion avec l’université Paris-I Panthéon-Sorbonne pour devenir consultant dans le bâtiment.
Pas assez de RSE au goût de certains élèves
« L’ingénieur n’est plus, comme du temps de Jules Verne, celui qui n’apporte que des solutions techniques. Il est celui qui est capable d’assurer la réussite d’un projet dans toutes ses dimensions, technologiques mais aussi environnementales et sociétales », souligne François Rousseau, directeur général de Mines Nancy. Une évolution que reflète la place croissante accordée aux enseignements de sciences humaines et sociales dans les cursus. Les questions de responsabilité sociale (RSE) et environnementale des entreprises sont également abordées. Mais pas assez au goût de certains élèves. « Beaucoup d’entre nous se posent des questions d’éthique. Nous sommes de plus en plus nombreux à envisager de travailler à notre compte ou dans des entreprises plus petites, qui coïncident davantage avec nos valeurs », remarque Pierre-Yves, étudiant à l’INSA Lyon.
« Il faudrait qu’on apprenne concrètement à développer des produits qui consomment moins d’énergie fossile, dégagent moins de CO2… », Julie.
Les élèves ingénieurs forment une grande partie des 30 000 signataires du « Manifeste étudiant pour un réveil écologique », paru à l’automne 2018. Parmi eux, Julie, en master dans une école d’ingénieurs de l’université de Besançon spécialisée dans le génie biomédical. L’étudiante regrette la dimension « trop comptable » de sa formation au détriment de « l’humain », et le manque de prise en compte des questions environnementales : « Nous avons eu une dizaine d’heures consacrées au développement durable, mais rien d’utile pour notre futur métier, c’était trop général. Il faudrait qu’on apprenne concrètement à développer des produits qui consomment moins d’énergie fossile, dégagent moins de CO2… ».
Léa, étudiante à l’ESA, approuve : « Les professeurs nous présentent les pratiques existantes, tout en se contentant de nous dire “ce n’est pas très durable, ce sera à vous d’inventer autre chose”. » Un conservatisme lié en partie, selon elle, à l’influence, au sein des écoles, de « grands groupes » qui sont aussi « de gros employeurs ». Mais les choses bougent : à l’INSA de Lyon, étudiants et professeurs volontaires « organisent des formations sur le sujet en dehors des cours et se mobilisent pour tenter de les inscrire durablement dans les programmes », relate Manon, en master dans cette école.
Moins d’un tiers de filles
La vie étudiante dans les écoles d’ingénieurs est souvent riche, avec des activités associatives et sportives variées. Mais le climat n’est pas toujours évident pour les filles. En dépit d’une progression de 45 % ces dix dernières années, elles restent minoritaires en école d’ingénieurs : en 2016-2017, elles représentaient 28 % des effectifs et moins de 10 % dans les écoles du secteur du numérique ou de l’informatique.
Un rapport publié en 2017 par l’association Femmes ingénieurs montrait « une banalisation alarmante du sexisme entre élèves », souvent minorée. « Tout le monde se permet de faire des blagues sexistes, c’est agaçant, sur le ton de la taquinerie », confie Manon, qui observe que la culture dominante de son école reste assez masculine. « Ce sont des préjugés d’ordre intellectuel ou physique. Dans une séance de travaux pratiques de mécanique, par exemple, les professeurs, qui sont en majorité des hommes, ont tendance à parler aux garçons de manière plus technique et aux filles de manière plus imagée. » Quant aux rémunérations, elles sont inférieures dès l’entrée sur le marché du travail pour les femmes – pour des questions de spécialités choisies, mais pas seulement. Une « dimension dont les écoles ne s’emparent pas assez », regrette Astrid.
Bonnes bases scientifiques et technologiques, apprentissage de la gestion de projets, ouverture à l’interculturalité, apprentissage des soft skills nécessaires à la vie en entreprise…, c’est un peu de tout cela qu’on apprend en école d’ingénieurs. Et cela marche : en 2017, plus de neuf diplômés sur dix ont décroché un poste dans les quatre mois, dont les deux tiers avant leur sortie de l’école. Le tout pour un salaire moyen, primes incluses, de 37 400 euros brut annuel. En outre, 10 % des diplômés démarrent leur carrière directement à l’étranger.
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